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littérature française - Page 150

  • La robe de la reine

    C’était, c’est encore une des curiosités constantes de ma mère, quand le programme télévisé annonce une actualité royale – voyage, réception, fête nationale ou que sais-je : comment est habillée la reine ? S’ensuit un échange de vues, tout y passe, la coupe, les couleurs, la coiffure, le sac, les chaussures… Aujourd’hui, la famille royale belge est sans doute mieux connue que naguère, elle s’est davantage ouverte aux médias. Place Royale sur RTL, C’est du belge à la RTBF (qui a diffusé un numéro spécial Tables royales étonnant, filmé au Kremlin et à Monaco) ou Royalty sur VTM permettent de davantage se rendre compte de ses activités.

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    La Reine Paola prononce un discours pour les 20 ans de sa fondation (Photo RTBF)

    Quand j’ai reçu récemment Les 75 ans de la reine Paola de Vincent Leroy (Imprimages, 2012), pas du tout mon genre de lecture a priori, je me suis dit : pourquoi pas ? Je ne sais pas grand-chose d’elle. Alors que les discours du roi Albert II sont régulièrement commentés dans la presse (ainsi que l’évolution des dotations), on n’entend guère notre reine s’exprimer, que ce soit dans l’une ou l’autre langue nationale (elle prend des cours de néerlandais depuis l’accession au trône).

    Cette monographie poursuit deux objectifs : d’une part, éclairer la personnalité de Paola Ruffo di Calabria, d’autre part, recenser ses faits et gestes depuis qu’elle est devenue reine des Belges en 1993. J’ignorais que Paola avait des origines belges, elle est notre première reine dans ce cas. Sa grand-mère paternelle, Laure Mosselman du Chenoy, est issue « d’une des plus anciennes familles bruxelloises ». Mais la jeune Italienne épousée par le prince Albert de Belgique en 1959 ne connaissait rien de la Belgique à part Tintin. Elle a porté à son mariage le voile en dentelle de sa grand-mère belge, comme ensuite sa fille Astrid et ses belles-filles Mathilde et Claire.

    Paola était la plus jeune de sept enfants. Les années 40 ont été douloureuses pour sa famille : une sœur décédée d’un empoisonnement alimentaire, un frère tué à la guerre et la mort de son père, qui avait été un as de l’aviation italienne. Sa mère, antifasciste convaincue, a dû se cacher pendant la guerre sous un faux nom.

    Vincent Leroy s’est appuyé sur une abondante bibliographie et fait aussi référence à une émission que j’avais regardée, une occasion rare d’entendre l’épouse du roi, diffusée en 2006 à la télévision : « Paroles de reine ». L’auteur rappelle les difficultés personnelles de Paola à son arrivée en Belgique. Il lui a fallu s’habituer au climat, aux paparazzis et aux contraintes du protocole.

    Il relate bien sûr les étapes de la vie privée du couple royal – rencontre, mariage, naissance des enfants, crise conjugale, réconciliation – et la non reconnaissance de Delphine Boël, fille de la baronne Sybille de Selys Longchamps avec qui le roi a eu une longue liaison. A cinquante ans, Paola disait avoir développé un « fatalisme positif ».

    En succédant à Fabiola il y a vingt ans, elle était au départ desservie par sa méconnaissance du néerlandais et l’image forte de la reine précédente. Avec les années, elle s’est affirmée dans deux domaines : l’art et le patrimoine culturel. La reine Paola a introduit l’art contemporain au Palais Royal : le plafond de Jan Fabre en est la réalisation la plus spectaculaire et la plus connue ; elle y a aussi placé des toiles de Marthe Wéry, des photographies... Mais c’est au château de Laeken que se donnent aujourd’hui les réceptions les plus brillantes, le décor des Serres Royales est évidemment un cadre illustre pour les invités de marque. Paola veille aussi à la restauration et à l’embellissement des demeures et jardins royaux, il lui importe de « mettre la beauté en valeur ».

    Vincent Leroy, auteur de plusieurs ouvrages sur la Belgique, la famille royale et aussi sur Verhaeren, passe rapidement sur les polémiques, sans les gommer pour autant. Comme l’écrit Luc Beyer dans La Semaine d’Anvers, « il déroule le tapis rouge tout en ayant l’honnêteté de ne pas dissimuler les coins effrangés. » Sa chronique résolument factuelle détaille les nombreuses œuvres sociales de la reine, présente sa Fondation en faveur des jeunes en difficulté et de l’enseignement, son engagement contre la traite des êtres humains et la maltraitance. Elle est présidente d’honneur de Child Focus, entre autres, créé à la suite de l’affaire Dutroux.

    Des 75 ans de la reine Paola se dégage la personnalité d’une reine plutôt discrète, qui a du mal à cacher son émotivité – on lui prête un caractère entier –, pour autant qu’on puisse connaître quelqu’un qui est toujours et partout en représentation. Comme mère, elle est surtout proche de sa fille Astrid. Derrière son image élégante, cette grand-mère de nombreux petits-enfants dit avoir fait sa devise d’un conseil reçu : « accepter ce que la vie quotidienne te demande ».

  • Tout faire

    « J’ai envie de tout faire dans ma vie. Je veux être acteur de cinéma pour embrasser les actrices des films indiens, je veux être Président de la République pour faire de longs discours au stade de la Révolution et écrire un livre qui parle de mon courage contre les ennemis de la Nation, je veux être chauffeur de taxi pour ne pas trop marcher sur le goudron qui chauffe à midi, je veux être directeur du port maritime de Pointe-Noire pour prendre gratuitement les choses qui viennent de l’Europe, je veux être un docteur vétérinaire, mais je ne veux pas être un agriculteur à cause de tonton René qui veut que je sois agriculteur. Je veux aussi écrire des poèmes pour Caroline. Je lui dis ça, elle sourit, me rappelle que la vie est trop courte pour que quelqu’un fasse toutes ces choses. Il faut en faire certaines, et surtout bien les faire. »

    Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans

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    Photo L’Express

     

     

     

  • Michel, Pointe-Noire

    Dédié à sa mère, à son père et à Dany Laferrière, Demain j’aurai vingt ans (2010) d’Alain Mabanckou donne la parole à Michel, un gamin de Pointe-Noire, la ville où l’écrivain est né en 1966 (il vit actuellement en Californie). C’est le récit à la première personne d’une enfance, d’une famille, d’une culture : « Dans notre pays, un chef doit être chauve et avoir un gros ventre. »

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    Il y a d’abord maman Pauline et tonton René, son frère, « un vrai chef » à la CFAO qui vend des voitures, même s’il n’est ni chauve ni ventru : « Il a un téléphone et une télévision chez lui. » L’oncle est riche mais se prétend communiste. Années septante, dix ans après l'indépendance. Michel est, comme tous les enfants, membre du Mouvement national des pionniers et futur membre du Parti congolais du travail, le PCT. Chez son oncle, il mange sous la photo de Lénine, non loin de celle de Marx et d’Engels, « de notre Immortel, le camarade président Marien Ngouabi » et enfin, pour quelque temps encore, de Victor Hugo. Michel n’a pas tout compris de ses idées politiques mais en a tiré une insulte : « Opium du peuple ! »

    Le garçon qui transpire la nuit sous la moustiquaire est amoureux de Caroline – « une fille évoluée » d’après maman Pauline – leurs parents sont amis. Elle a quitté l’école qu’il fréquente encore pour une autre « au quartier Chic ». C’est la sœur de Lounès, son meilleur ami, déjà au Collège des grands. Monsieur Mutombo, leur père, est « le meilleur tailleur de la ville » ; leur mère, grosse « comme une femelle d’hippopotame ». Caroline et Michel se sont mariés un dimanche après-midi et ont partagé leurs projets : économiser pour quand leurs deux enfants seront grands, acheter une belle voiture rouge à cinq places, avoir un petit chien tout blanc.

    Michel n’aime pas trop quand sa mère se fait belle et met « des pantalons orange qui brillent » et attirent tous les regards sur elle, surtout quand elle ne dit pas où elle va. Il voudrait être Superman, Hulk, Astérix ou Obélix pour la défendre. Si elle va chez son frère, c’est pour des affaires d’héritage. Et quand ils se disputent, René lui rappelle que Roger n’est pas le vrai père de Michel mais un « père nourricier » qui vit avec sa première femme, maman Martine, et leurs sept enfants.

    Employé d’hôtel, papa Roger ramène un jour une radiocassette qu’il a reçue d’un client blanc, un habitué dont il s’occupe toujours. Ce sera un secret, personne dans le quartier ne doit être mis au courant, « on doit rester très modestes ». La cassette introduite, une grosse voix se met à chanter : « Auprès de mon arbre, je vivais heureux… » Le blanc à moustache, Brassens, emploie deux mots qui lintriguent, « saligaud » et « alter ego ». Mais il faudra du temps pour que Michel comprenne qu’on puisse pleurer un arbre. C’est un garçon qui écoute bien : son oncle sur les communistes et les capitalistes ; Monsieur Mutombo sur les blancs, les noirs, les arabes ; papa Roger sur le président et les militaires.

    Alain Mabanckou, comme l’écrit Le Clézio dans la préface, « nous fait pénétrer à l’intérieur de l’âme d’un jeune enfant » du Congo-Brazzaville, nous montre le monde vu par des yeux « naïfs et attentifs » ; son jeune héros découvre « la vie, les chagrins, les émotions et les ruses qui préparent au métier d’homme. » La chanson de Brassens est un leitmotiv parmi d’autres, avec « La Voix de l’Amérique » que son père aime écouter, celle du journaliste Roger Guy Folli ; le destin du chah d’Iran après la Révolution ; Idi Amin Dada, le monstrueux chef d’Etat analphabète ; et surtout, surtout, Arthur, « le jeune homme au visage d’ange » sur la couverture d’Une saison en enfer, trouvé dans la bibliothèque paternelle et feuilleté en secret.

    Mais le plus grave de ce qui arrive à Michel, c’est la trahison de Caroline, qui le quitte pour Mabélé, un joueur de foot. Comment la reconquérir ? Scènes d’école, vie du quartier, ambiances familiales, rêves et douleurs d’enfant, voilà le sujet d’un roman de style oral qui s’intéresse aux rapports entre les personnes, aux discours, à la diversité des valeurs proposées à un garçon d’une dizaine d’années. Un jour, Michel devra choisir. « Moi, je cherche une autre route, ma route du bonheur, celle que je prendrai pieds nus, en plein soleil, même si le goudron me brûle. »

    Vous découvrirez chez Gangoueus le dernier ouvrage de Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire (2013), qui revient de manière très différente sur la ville de son enfance et les personnages de Demain j’aurai vingt ans.

  • Perdu ou défiguré

    La liberté de bloguer sur n’importe quel sujet est pour moi un des atouts majeurs de cette activité : ne pas être inféodé à « l’actualité », piocher au petit bonheur la chance sur les tables d’une librairie ou dans les rayons d’une bibliothèque, sortir un livre de la sienne pour le relire, commenter un titre désuet, suranné – deux adjectifs pleins de charme, vous ne trouvez pas ?  Un livre est-il jamais « périmé » ?

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    Aussi je vous propose aujourd’hui d’aller à sauts et à gambades. La météo tristounette de ce début d’année à Bruxelles (tristolette ou tristouillette, si vous préférez ces variantes que je viens de découvrir dans le TLF)  joue les prolongations d’un mois de décembre (29 jours de pluie) dominé par le crachin (« Le triste et vilain mot, mélange de crachat et de chagrin », note Laurence Dardenne dans La Libre de ce week-end). Soyons donc légers, voulez-vous ? (Arrêtons de râler en découvrant les vœux des musées des beaux-arts en anglais exclusivement.)

    Comment suis-je arrivée à cette vidéo de Clemtom ? Je ne sais. Au hasard d’internet, d’un clic, d’un lien... Le titre de ce billet, je l’ai puisé dans cet entretien avec Jean d’Ormesson délicieusement inactuel – pour la sortie de son recueil Odeur du temps en 2007 dans la maison d’édition de sa fille.  Il y assure n’avoir « rien fait » pour Héloïse quand elle l'a fondée, mais après deux ans, ce « rien » lui avait semblé « trop peu ». Je vous recommande, sur le site de léditrice, le texte de présentation du livre ; dOrmesson y recourt déjà beaucoup au passé composé, et commence ainsi : « Ce que j’ai fait de mieux dans ma vie, c’est ma fille. Je suis plus fier d’elle que de moi. »

    On lui demande s’il est important pour un écrivain d’être vu à la télévision. D’Ormesson, dont je n’ai rien lu, à part l’un ou l’autre article, je le confesse, mais dont j’ai souvent savouré les prestations télévisuelles, affirme qu’ « un livre qui ne passe pas à la télé est un livre perdu. » Et ajoute aussitôt qu’« un livre qui passe à la télé est un livre défiguré », puisque transformé en spectacle. Certains écrivains sont de bons « clients » pour les médias et leurs livres ne valent rien, d’autres ne passent pas du tout alors que leurs livres sont excellents. Perdu ou défiguré, un livre aura peut-être une nouvelle vie grâce aux blogs ?

    Refusant l’épithète de « séducteur », Jean d’Ormesson, « beau gosse » aux yeux bleus, avoue « un côté cabotin, c’est évident ». Les trois choses qu’il a le plus aimées ? Dans l’ordre, les bains de mer, les femmes, les livres. Avec son chic habituel pour surprendre, l'académicien révèle qu’il est fan de Julien – mais quel Julien ? lui demande son interlocuteur – quoi, vous ne connaissez pas Julien, de « La nouvelle star » ? Ce rappeur a fondé un rockclub, le « Jean d’Ormesson suicide club » et s’est tatoué « Jean d’Ormesson » sur l’épaule – pas moins.

    Thomas Clément confie avoir dû lire Balzac à quatorze ans (Le cabinet des antiques) et en garder un souvenir épouvantable. D’Ormesson a lu Proust au même âge, l’a trouvé assommant. Trop tôt, trop difficile. Dumas aurait été plus adapté, conviennent-ils. Qu’est-ce qui excite encore ce vieil homme si jeune, ce vieux jeune homme, disons ? Se promener, la mer, aller vite en voiture… Et bien sûr les formules vives, les phrases courtes, comme celle-ci, de Chateaubriand, qu'il aime citer : « Il faut être économe de son mépris étant donné le grand nombre des nécessiteux. » Ou cette terrible définition de l’amour par Proust : « une torture réciproque ».

    Je vous laisse, si vous visionnez l'entretien, découvrir la dégustation finale – de qui, ces délicieuses gaufrettes ? Et, à propos d’amour, je vous recommande le téléfilm en deux parties tiré récemment de La Chartreuse de Parme, plaisir plus visuel que littéraire, certes, mais quels décors, quels acteurs ! Relire Stendhal.

    Dans un entretien récent avec Beigbeder paru dans Le Temps, celui-ci se situe dans la même catégorie que Stendhal, à savoir le type d'écrivain « qui se mêle de tout et qui prend la parole ». D'Ormesson préfère s'amuser : « Ce que j’aime le plus avec les livres, c’est le ski. Mais il faut apprendre à skier. Tant que vous ne savez pas skier, vous ne vous amusez pas beaucoup. Une fois que vous maîtrisez, vous vous amusez à la folie. C’est la même chose pour les écrivains. Vous commencez par lire Arsène Lupin. Et vous finissez par Flaubert et Proust, en essayant d’éviter Sartre. Sauf Les Mots. » 

    Allez, un dernier titre, pour conclure, sur le conseil de son auteur : je serais d'humeur à ouvrir  Casimir mène la grande vie – vous l’avez lu ?

  • De l'une à l'autre

    – Regarde, me dit ma grand-mère.
    Elle retira les boucles d’oreilles en diamants qu’elle ne quittait jamais et me les mit.
    – C’est ainsi que j’ai donné le collier de ma mère à ta mère. Les bijoux doivent passer d’une femme à l’autre. Il faut qu’on les porte. Les goyim les mettent dans des coffres-forts et ils portent l’imitation : ça ôte l’âme aux pierres. Un jour tu retireras une bague de ton doigt et tu la passeras au doigt de ta fille, toute chaude encore de toi. On ne donne pas un objet : on se donne. 

    Jacqueline Harpman, La plage d’Ostende

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    Agapit Stevens, Elégante au collier de perles